Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre de gens vivent, attestent par l’assiduité de leurs veilles et de leurs travaux qu’ils vivent eux-mêmes pour les autres. Pour t’en citer un exemple frappant, Jules César, dont on a rapporté ce mot vrai, quoique arrogant : Le genre humain vil pour un petit nombre[1]. Jules César, après avoir réduit le genre humain à vivre pour lui seul, vivait lui-même pour les autres. Tu me demanderas peut-être pour qui ? Pour ceux qui l’ont tué : pour D. Drutus, T. Cimber et autres perfides chefs de la conjuration, dont son inépuisable munificence ne parvint pas à rassasier la cupidité.

Pétrarque. Vous m’avez amené, je l’avoue, à ne plus m’indigner ni de ma servitude ni de mon indigence.

S. Augustin. Indigne-toi plutôt de n’être point sage, ce qui seul aurait pu te procurer et la liberté et la vraie richesse. D’ailleurs, quiconque, supportant volontiers la privation de ces biens, se plaint de ne pas ressentir leurs effets, n’a pas une idée juste de ces biens ni de leurs effets. Mais dis-moi maintenant ce qui te fait souffrir, indépendamment de ce que nous avons dit. Est-ce la fragilité du corps ou une peine secrète ?

Pétrarque. J’avoue que mon corps m’a toujours été à charge chaque fois que je me suis regardé moi-même ; mais, en jetant les yeux sur la pesanteur des autres corps, je reconnais que j’ai un esclave assez obéissant. Plût à Dieu que je pusse en dire au-

  1. Lucain, V, 313.