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au jour la journée[1]. À part cette inquiétude, ce que j’ai me suffirait abondamment, et je répéterais volontiers ce que le même poète a dit au même endroit : Que croyez-vous, amis, que je demande aux dieux ? De conserver ce que je possède et moins encore, de vivre pour moi le reste de mes jours s’ils daignent les prolonger[2]. Toujours incertain de l’avenir, toujours en suspens, les faveurs de la fortune n’ont pour moi aucun charme. En outre, comme vous voyez, je vis jusqu’à présent pour les autres, ce qui est le plus triste de tout. Plaise à Dieu que je puisse au moins jouir du restant de ma vieillesse, afin qu’après avoir vécu au milieu des flots orageux, je me repose dans le port !

S. Augustin. Ainsi donc, dans ce grand tourbillon des choses humaines, parmi tant de vicissitudes, devant les épaisses ténèbres de l’avenir, en un mot, placé sous la dépendance de la fortune, tu serais le seul de tant de milliers d’hommes qui menât une vie exempte de soucis ? Vois ce que tu désires, mortel ; vois ce que tu demandes. Quant à la plainte que tu exprimes de n’avoir point vécu pour toi, elle dénote, non l’indigence, mais la servitude. Je reconnais, comme tu le dis, que c’est une chose très fâcheuse ; cependant, si tu regardes autour de toi, tu trouveras fort peu d’hommes qui aient vécu pour eux. Ceux que l’on croit les plus heureux, et pour lesquels

  1. Épîtres, I, 18, 110.
  2. Épîtres, I, 18, 106-108.