Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pétrarque. Jamais, croyez-moi, je ne l’ai plus méprisée. Je fais autant de cas de ce que le vulgaire pense de moi que de ce qu’en pensent des troupeaux de bêtes brutes.

S. Augustin. Eh bien ?

Pétrarque. Ce qui m’indigne, c’est qu’aucun de mes contemporains, que je sache, n’ayant eu moins d’ambition que moi, pas un n’ait rencontré plus de difficultés que moi dans l’accomplissement de ses désirs. Assurément je n’ai jamais ambitionné la plus haute place, j’en atteste celle qui nous juge[1], qui voit tout, et qui a toujours lu au fond de mes pensées. Elle sait que chaque fois que, suivant l’habitude de l’esprit humain, j’ai passé en revue tous les degrés des conditions, je n’ai jamais rencontré dans le rang suprême la tranquillité et la sérénité d’âme, que je mets au-dessus de tout ; que pour cela, ayant horreur d’une vie pleine de soucis et d’inquiétudes, j’ai toujours préféré, par un jugement modéré, une situation médiocre, et que je n’ai pas approuvé des lèvres seulement mais du cœur ces paroles d’Horace : Qui aime la médiocrité d’or, vit sans inquiétude et sans ambition, loin d’un toit délabré, loin d’un palais qui excite l’envie[2]. La raison qu’il en donne ne m’a pas moins plu que sa sentence : La cime des pins est souvent battue des vents ; les hautes tours s’écroulent avec un horrible fracas

  1. La Vérité qui, on se le rappelle, présidait à l’entretien.
  2. Odes, II, 10, 5-8.