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chers ; en voyant de tous côtés les glaives étincelants et les visages menaçants des ennemis et en songeant que sa ruine est prochaine, pourquoi ne serait-il pas effrayé et affligé puisque même sans cela, la perte seule de la liberté cause aux hommes de cœur un chagrin mortel ?

S. Augustin. Quoique ton exposé soit un peu confus, je vois que tous tes maux proviennent d’un préjugé qui a fait jadis et qui fera d’innombrables victimes. Tu as mauvaise opinion de toi-même.

Pétrarque. Oh ! oui, très mauvaise.

S. Augustin. Pour quelle raison ?

Pétrarque. Pas pour une seule, mais pour mille.

S. Augustin. Tu ressembles à ceux en qui la plus légère offense réveille d’anciennes inimitiés.

Pétrarque. Il n’y a en moi aucune blessure assez ancienne pour que l’oubli l’ait effacée, tout ce qui me tourmente est récent, et si quelque chose avait pu disparaître avec le temps, la fortune a si souvent redoublé ses coups que la blessure ouverte ne s’est jamais cicatrisée. Ajoutez-y la haine et le mépris de la condition humaine. Accablé par tout cela, je ne puis pas ne pas être extrêmement triste. Que vous appeliez cette tristesse acidia ou ægritudo, peu m’importe, au fond nous sommes d’accord.

S. Augustin. Puisque, d’après ce que je vois, le mal est profondément enraciné, il ne suffit pas de le guérir superficiellement,