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solitude éveillant ses souvenirs, il fit un retour sur lui-même. « Il y a aujourd’hui dix ans, se dit-il, que, libéré des études de ta jeunesse, tu as quitté Bologne. Mais, Ô Dieu immortel ! ô Sagesse immuable ! que de grands changements cet intervalle a vu s’opérer en toi ! » Et il ajoute : « Je laisse de côté ce qui n’est pas fini, car je ne suis pas encore dans le port pour songer tranquillement aux orages passés. Il viendra peut-être un temps où je relaterai dans leur ordre tous les événements de ma vie, en prenant pour texte cette parole de votre Augustin[1] : Je veux me remémorer mes souillures passées et les corruptions charnelles de mon âme, non que je les aime, mais pour que je vous aime, mon Dieu[2] ». Il avait sur lui un exemplaire des Confessions de saint Augustin qui ne le quittait pas. Arrivé au sommet de la montagne, il tira de sa poche le précieux volume, l’ouvrit au hasard et y lut ce qui suit : Les hommes s’en vont admirer la hauteur des montagnes, les grandes agitations de la mer, le vaste cours des fleuves, la circonférence de l’Océan, les évolutions des astres, et ils s’oublient eux-mémes[3]. Frappé de l’à-propos de cet avertissement, il ferma le livre, ne voulut plus rien voir du spectacle magnifique qu’il était venu chercher au prix de tant de fatigues, et, abîmé dans une rêverie profonde, il redescendit les pentes de la montagne sans desserrer les lèvres.

Il fit faire de ce livre de nombreuses copies qu’il se plut à répandre. Il le portait toujours sur lui comme un talisman. Il

  1. Lettres familières, IV, 1.
  2. Confessions, II, 1.
  3. Confessions, X, 8.