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J’ai été en proie, dans mon adolescence, à un amour très violent, mais unique et honnête, et j’en aurais souffert plus longtemps si une mort cruelle, mais salutaire, n’eût éteint ma flamme, qui commençait à s’attiédir. Je voudrais bien pouvoir dire que les plaisirs des sens n’ont eu aucun empire sur moi : mais si je le disais je mentirais ; je puis affirmer sans crainte que, si l’ardeur de l’âge et du tempérament m’ont entraîné vers eux, j’en ai toujours détesté dans mon âme la bassesse. En approchant de ma quarantième année, alors que j’étais encore plein de feu et de vigueur, non seulement j’ai renoncé à l’œuvre de chair, mais j’en ai perdu tout souvenir, comme si je n’avais jamais regardé une femme. Je compte cela parmi mes plus grandes félicités, et je remercie Dieu qui, dans la force de mon âge, m’a délivré d’une servitude si vile et que j’ai toujours eue en horreur. Mais je passe à autre chose.

J’ai compris l’orgueil dans les autres, non en moi, et, quoique j’aie été un homme de peu de valeur, je me suis toujours estimé encore moins. Ma colère m’a bien souvent nui, jamais aux autres. Très avide d’amitiés honnêtes, je les ai cultivées avec la plus grande fidélité. Je m’en