Page:Pérochon - Les Hommes frénétiques, 1925.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

races. Il n’en avait rien été : le mélange demeurait tout à fait superficiel. À l’époque moderne, on pouvait même observer un phénomène inverse et, en apparence, paradoxal. Circulant autour de la planète avec une rapidité jadis inconcevable et dans des conditions parfaites de confort et de sécurité, l’homme revenait fidèlement à son port d’attache. Chaque soir, les grands express aériens ramenaient, d’un continent à l’autre, d’innombrables travailleurs. Personne n’éprouvait plus le besoin de s’expatrier ; la facilité extrême des communications empêchait les lentes migrations qui seules auraient eu des effets durables pour la pénétration des races.

Aussi, les différents groupes d’hommes se séparaient-ils de nouveau. Comme à l’époque chrétienne, les Blancs habitaient l’Europe et l’Amérique, les Jaunes l’Asie. De turbulentes républiques nègres se formaient en Afrique. Certains peuples prétendaient élire une assemblée particulière, indépendamment de ses délégués au Parlement mondial. Des essais de législation nationale d’un disparate inquiétant se superposaient à la législation universelle. De vieilles coutumes locales étaient tirées de l’oubli. Le ministère des Réjouissances publiques, dont le rôle avait été fort important aux siècles précédents, voyait ses effets annihilés par l’indifférence générale. Seules les fêtes régionales étaient célébrées avec éclat.

Des légendes, aux origines obscures, enchantaient les masses. Chez les Blancs d’Europe, la geste de Noëlle Roger, vaste poème barbare et naïf, s’enrichissait chaque jour d’apports anonymes. De même, chez les Asiatiques, était née mystérieusement, au plus chaud de l’âme populaire, l’épopée de Lia-Té, la farouche poétesse des temps héroïques.