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HARRISSON LE CRÉATEUR

Comme aux temps les plus reculés, les races belligérantes avaient envoyé à l’ennemi leurs jeunes mâles les plus vigoureux, auxquels on avait confié les armes de choc ; d’où une effroyable sélection à rebours.

Cette guerre, poursuivie pendant de longs mois, avec un acharnement terrible, par des armées nombreuses, merveilleusement disciplinées et pourvues d’engins déjà meurtriers, avait durement secoué le vieux monde.

La grandeur de la catastrophe aurait dû dessiller les yeux des plus aveugles. Il n’en avait rien été. Les hommes n’avaient pas compris qu’une ère nouvelle commençait, où la prudence, à défaut de bonté, deviendrait une vertu essentielle.

Aussitôt éteint le fracas des armes, les conflits d’orgueil ou d’intérêt avaient de nouveau enfiévré les cœurs ; de nouveau, les mains, encore saignantes, s’étaient crispées pour la menace. Jamais peut-être l’humanité n’avait manqué à ce point de clairvoyance et de bonne volonté. La science progressait rapidement, et peu de gens songeaient à s’étonner et à se méfier. L’intelligence semblait quelque peu assoupie ou désorientée. On voyait des chefs militaires rédiger gravement, à l’usage des guerriers de l’avenir, des traités de stratégie imités de l’antique. Les philosophes ratiocinaient, les poètes bégayaient ; des escouades de myopes occupaient des postes de guetteurs et barraient les carrefours de la pensée. En plus d’une contrée, de grossiers histrions se hissaient aux tréteaux populaires ; des demi-fous, brandissant la matraque, réussissaient à se faire écouter.

Les masses, encore étourdies par le choc, sentant confusément le monde changer, hésitaient.