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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

de sa victoire appréciait les mets en connaisseur ; il se détendait, montrait de la jovialité et de l’insouciance. Les yeux de Lygie rencontrèrent les siens ; il devina leur muette interrogation. Penché vers la jeune fille, il murmura :

— Oui !… je crois que nous tenons le succès.

Lygie répondit à voix basse :

— Compliments !… C’est une grande œuvre !

— C’est votre œuvre, Lygie, autant que la mienne !

Une flamme de joie brilla dans les yeux calmes, mais ce fut très bref. La jeune fille baissa son front blanc et, seul, le tremblement léger de ses mains révélait encore son émotion.

Harrisson reprit du même ton confidentiel :

— Pour le moment, je vous demande la discrétion… surtout devant cette évaporée…

L’étrangère riait, la tête renversée, le regard ivre. Prévenant un nouveau geste vers la boîte au poison, Harrisson lui offrit la première tranche d’un énorme et appétissant gland de Bretagne que l’on venait de servir. Et il récita, d’une voix joyeuse, les vers d’un poète gourmand qui avait célébré la succulence de ce fruit moderne, pain du pauvre, régal du riche, aliment préféré de l’enfant et du vieillard. Tous les convives applaudirent et burent à Harrisson. Le vin de myrtille, pétillant et parfumé, tremblait dans des coupes rustiques de cristal rose.

Au coup de cloche de la cuisine, le repas prit fin. Les deux préparateurs et Lygie se levèrent aussitôt pour aller servir à leur tour les fonctionnaires cuisiniers.

Ayant pris congé d’Avérine, les deux invités se retirèrent. La jeune femme prétendait visiter une exposition de chapeaux et assister ensuite à un rallye aérien au-dessus de l’Archipel. L’homme grommelait, disant qu’il venait de faire presque le