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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

Dans la salle à manger rustique, les enfants occupaient les places d’honneur autour du maître. On voyait là Samuel et la compagne habituelle de ses jeux, Flore, une négrillonne aux yeux d’émail ; puis, des enfants du voisinage, des Gaulois à la tête ronde, bruyants et facilement émerveillés. Le personnel de la maison, moins les fonctionnaires cuisiniers qui dînaient un peu plus tard, venait immédiatement après les enfants. Avérine aimait les jeunes gens et les hommes de peine, au parler simple et ingénu. Longtemps, il avait pris plaisir à les servir lui-même ; maintenant, il se contentait de les rassembler autour de lui et il souriait à leur joie.

Harrisson occupait l’autre bout de la table avec ses compagnons de travail : deux savants d’âge mûr et une jeune fille de vingt-cinq ans à peine, Lygie Rod, déjà célèbre par ses travaux sur le rôle des attractions tourbillonnaires dans l’évolution du protoplasme tumultueux. Lygie Rod avait perdu, l’année précédente, deux doigts de la main gauche dans un accident de laboratoire ; dans son blanc visage régulier, ses yeux calmes semblaient des sources profondes.

Il y avait seulement deux convives étrangers : un couple de passage, qu’une parenté lointaine unissait à l’un des savants. L’homme, un mondain quelconque, s’ennuyait auprès de Lygie. La femme, habillée à l’antique, portait les cheveux longs ; sa robe, généreusement échancrée, laissait voir des épaules d’un galbe très pur, mais peintes en bleu pervenche selon la mode atroce lancée, au début de la semaine, par une célèbre courtisane japonaise. Elle portait, suspendue à son poignet gauche par un fil de platine, une petite boîte renfermant des pilules hilarantes. Dès le début du repas, elle avait furtivement puisé dans cette boîte et, déjà