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UNE GENÊSE

L’enfant jeta son premier cri, un soir, au moment de la renaissance du printemps, au fond d’une grotte tapissée d’herbes sèches. Flore l’attira près de sa poitrine et s’endormit, épuisée. Au matin, comme elle dormait encore, Samuel prit l’enfant et, sans bruit, le porta au soleil. Accroupi, il l’examina curieusement et il appela Ouaf. Le chien accourut, puis Bow ; bientôt toute la tribu forma le cercle autour de cette boule de chair vagissante. Bow comprit la première que c’était là le commencement d’un homme. Elle se coula tout auprès et flaira les membres roses ; puis, à petits coups rapides, elle se mit à lécher. Devant ce spectacle insolite, toute la tribu donna de la voix.

Alors un cri de désespoir et de fureur retentit dans la grotte. Presque aussitôt, Flore surgit à l’entrée et bondit au milieu du groupe. Bow roula sur le dos, chavirée d’un coup de pied ; Samuel recula précipitamment, la figure labourée.

Flore avait ressaisi son enfant. Elle l’éleva dans la lumière et le considéra. Puis elle avança vers la menue bouche rose une des pointes douloureuses de sa poitrine. Du lait gicla ; les petites lèvres s’ajustèrent sur la chair offerte.

Alors, Flore, apaisée, sourit à la tribu des chiens, assise en rond autour d’elle ; et elle sourit aussi à Samuel, qui, ahuri, essuyait du revers de sa main le sang de sa joue griffée.

L’enfant devint aussitôt le centre rayonnant de la tribu ; en lui battit le cœur de tous. Flore ne jouait plus qu’avec lui ; Samuel le maniait avec délicatesse. Les chiens furent ses esclaves ; dès qu’il eut la force de se rouler sur le sol, ils se battirent pour l’approcher. Ils déposaient à sa portée les