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HARRISSON LE CRÉATEUR

dans le vent. Alors on entendit des voix juvéniles, des chants et aussi — ce qui déplut à Harrisson — des éclats de rire saccadés, inextinguibles, anormaux, qui prouvaient, hélas ! que le vice nouveau, l’abus des hilarants, avait déjà touché cette belle jeunesse.

— Les fous !… Les pauvres fous ! murmura-t-il.

Une nouvelle pluie de flammèches s’éparpilla dans le vide, non loin de la gare d’avions.

Et Harrisson dit encore :

— Les imprudents !… Pourvu qu’ils n’aillent point couper la zone aérienne d’énergie avec leurs moteurs antédiluviens et toute leur ferraille !…

Comme il parlait ainsi, un signal monta de la gare voisine : un surveillant avait aperçu les promeneurs, et il interdisait la zone dangereuse.

Les aérobus continuèrent cependant d’avancer, mais le signal d’arrêt parut de nouveau, fut répété trois fois : le surveillant se fâchait et menaçait. Alors, des deux aérobus une longue huée tomba ; on entendit des coups de sifflet, des cris d’animaux, puis un couplet narquois, chanté en chœur : sur un air populaire, en vieux français de la décadence, les étudiants proclamaient à la face du ciel les infortunes conjugales du chef de gare.

Les aérobus, lourdement cabrés, piquèrent vers les nuages.

Le crépuscule était tout à fait venu. Dans les hauteurs du ciel, des phares d’avions isolés s’allumaient comme de grosses étoiles. Un long express aérien, ramenant des travailleurs jaunes, filait vers l’est, tous ses hublots éclairés. Sur la terre, enfin, les rampes fluorescentes festonnaient déjà quelques maisons et, à la cime des grands arbres, dans les parcs des agriculteurs, des réseaux photophores disposés en aigrettes répandaient une douce lueur bleuâtre.

Avérine se leva pour le dîner.