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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

Même chez les plus grossiers des hommes, chez des arriérés, des demi-fous, que n’eût pas dû atteindre, pourtant, le commun désespoir, une paresse étonnante fut la règle. L’activité devint, aux yeux de tous, chose absurde, douleur inutile et sans compensation. Le souci de prévoyance apparut comme une plaisanterie sinistre. Placé entre deux tâches nécessitant un effort égal, l’une d’acquisition, l’autre de destruction, l’homme optait généralement, sans remords et même avec une sorte de jubilation lugubre, pour la destruction.

Certaines régions désertes demeurèrent opulentes et parées ; mais, partout où vivaient encore des hommes, les riches jardins, les parcs harmonieux furent tristement saccagés. Pour cueillir un fruit, on abattait l’arbre ; on flambait une forêt pour dissiper une onglée ou même sans aucune apparence de raison, le geste étant au moins aussi naturel d’allumer un incendie que de l’éteindre. Les derniers vestiges de la civilisation scientifique disparaissaient. Les maisons intactes restaient ouvertes et n’abritaient que des hôtes de passage ; les réserves étaient gaspillées ; les animaux domestiques erraient, cherchant en vain quelque maître. Très vite, les moyens de communication rapide cessèrent tout à fait d’exister ; les glisseurs, avions, voitures, navires de tout genre, dont beaucoup étaient d’ailleurs inutilisables depuis la disparition des zones, furent abandonnés ou détruits. Il ne resta, çà et là, que de rares voitures à traction animale et de lents planeurs à voile d’un usage dangereux.

La terre redevenait libre, sauvage, vaste.

L’homme déchu, condamné, agonisait dans la tristesse et la laideur.

Chacun vivait, à l’ordinaire, isolément. Les der-