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LA MÊLÉE

le temps : déjà, Sylvia s’était jetée sur lui et le poussait vers les aveugles. Les plus proches le saisirent ; il roula sur le sol, entraînant deux de ses bourreaux. Les autres s’approchèrent au bruit ; plusieurs trébuchèrent. Ceux qui restaient debout piétinaient ceux qui étaient tombés, frappaient au hasard, à grands coups de talon, avec des ahans féroces. Une femme à l’horrible visage dépouillé avait, comme une louve, égorgé Salem à coups de dents ; le sang de la carotide giclait encore dans ses cheveux. Un adolescent, ivre d’hilarants, hoquetait, en enfonçant ses pouces dans les yeux du cadavre.

À ce moment, Lygie quittait le laboratoire souterrain où, depuis une heure, elle suivait, pleine d’angoisse, les yeux rivés à l’appareil cinétéléphonique, la dernière et étrange tentative de Harrisson. Il avait fallu que les cris des assaillants devinssent tout proches pour qu’elle comprît ce qui se passait et qu’elle se décidât à remonter.

Lorsqu’elle parut à l’entrée du vestibule, Sylvia fouillait la maison. Guidés par sa voix furieuse, des aveugles suivaient les murs à tâtons et cherchaient à la rejoindre. Les autres, acharnés sur le cadavre de Salem et de leurs propres compagnons, s’entredéchiraient hideusement.

Lygie, devant cet affreux spectacle, demeura clouée sur place. Un aveugle, qui courait en hurlant, la frôla. Et soudain elle cria, elle aussi, éperdue d’horreur… Une angoisse brusque l’avait traversée comme une lame ; en un éclair, elle avait eu la vision d’un danger effroyable… Ce matin encore, espérant contre toute espérance, n’avait-elle point donné, une fois de plus, la chiquenaude créatrice ?… Les merveilleux appareils fonctionnaient, soigneusement isolés des zones publiques ; or, il suffisait d’un