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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

brumes. Touchés par le rayonnement, des humbles se haussaient d’un seul coup au niveau des plus grands penseurs. Le miel d’une poésie incomparable coulait sur les lèvres des illuminés. Les non-malades entendaient avec ravissement et stupeur les accents d’une éloquence inconnue. De vieux problèmes, tenus jusqu’à ce jour pour insolubles, étaient soudain résolus avec une facilité surnaturelle.

Cette exaltation magnifique durait assez peu et, par malheur, s’accompagnait toujours de troubles physiologiques graves. Des tremblements incoercibles, des paralysies générales, des crises épileptiformes de violence croissante et qui se terminaient rapidement par la mort, étaient les plus ordinaires séquelles. À Cuba, suivant le méridien 80, plusieurs centaines de mulâtres, chez qui s’était éveillé le plus puissant génie philosophique, avaient en même temps perdu toute aptitude à la marche ordinaire et ils ne pouvaient néanmoins demeurer en repos. Des foyers de vie tumultueuse infusaient à leurs jambes une irritabilité extrême et une force considérable. Le contact prolongé du sol leur était une torture ; ils bondissaient comme des sauterelles jusqu’à complet épuisement.

Souvent il se produisait aussi, chez les excités de l’esprit, une dégénérescence des éléments sensoriels. La cécité était la règle ; la surdité fréquente. L’abolition du goût, de l’odorat et même du toucher s’y ajoutaient parfois. Des mathématiciens d’un jour, des philosophes, des poètes qui, avec une aisance miraculeuse, étaient arrivés à des hauteurs jamais atteintes, franchissaient ainsi, avant de mourir, une dernière étape étrange, passaient par une sorte de nirvana où quelques régions de leur conscience demeuraient seules vivantes et prodigieusement actives.