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LA MÊLÉE

sité l’emportait sur l’angoisse, le commencement de la lutte fratricide. La situation évoluait d’heure en heure dans une confusion grandissante. Ce n’étaient que manœuvres obliques, fausses nouvelles, mesures provocatrices, excitations sournoises, avances, reculs, démentis, appels tardifs à l’arbitrage, offres non moins tardives de médiation, intrigues sans nombre dont l’observateur le plus perspicace eût été bien empêché de découvrir tous les fils. Une brume mensongère masquait si bien les gestes des grands politiques que toute recherche ultérieure des responsabilités devait paraître quasi impossible.

Personne n’arriva à établir avec précision dans quelles conditions, en quel lieu et par la faute de qui commencèrent les hostilités.

Un seul point demeura indiscutable : le 12 juin, quatrième jour des fêtes terminant le Ramadan, la mêlée était générale à midi — heure du méridien zéro — et de nombreux cadavres jonchaient déjà la terre, de part et d’autre du parallèle 10. Les spectateurs qui, ce jour-là, observaient au cinétéléphone les fêtes religieuses de la frontière, ne purent fournir que des renseignements contradictoires : suivant le point avec lequel ils se trouvaient en communication, ils donnèrent tort soit aux Musulmans, soit aux Sudistes. La guerre parut s’allumer spontanément, partout à la fois.

Au Refuge, ce fut le vieux domestique, Salem, qui donna l’alarme. Il avait, en sa jeunesse, fait son stage de fonctionnaire cuisinier chez un horticulteur noir dont les jardins s’étendaient sur les rives du fleuve Comoé, et il avait encore là-bas, chez le même horticulteur, son fils, ingénieur de la section fruitière. Depuis que l’orage menaçait en