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HARRISSON LE CRÉATEUR

au-devant de lui. Appuyé sur elle, il s’approcha de la table où, dans des appareils minuscules et compliqués, s’élaboraient les mystères de la vie artificielle. Sur la table, un pilon d’acier tramait. Harrisson s’en saisit et le leva au-dessus des appareils. Mais Lygie s’était élancée ; de toutes ses forces, elle se suspendait au poing menaçant, elle entraînait Harrisson au fond du laboratoire.

Ils furent un moment silencieux dans les bras l’un de l’autre, et l’on eût pu entendre le bondissement éperdu de leur poitrine.

Puis Lygie parla.

— Il ne faut pas, dit-elle, commettre un tel crime ! Il ne faut pas détruire ce qui sera peut-être, dans un avenir prochain, le bonheur du monde !

Harrisson, les larmes aux yeux, répondit avec une accablante assurance :

— Il n’est plus d’avenir possible… plus de bonheur possible !… Le monde est en proie à la démence… D’un geste inoffensif peut sortir le mal ardent…

Il répéta amèrement, pour lui seul : « Harrisson ! Harrisson ! réclamez des juges sévères ! »

— C’est folie, s’écria Lygie, que d’attacher une telle importance à ces plaisanteries de mauvais goût !

— Ce sont, hélas ! les mauvais plaisants qui ont raison… Oui, tout ceci, il serait sage de le détruire… détruire notre œuvre !… Lygie, il nous faut un grand courage cruel !…

Lygie protesta avec vivacité, accumulant les arguments. À quoi servirait ce sacrifice ? N’existait-il pas d’autres savants, des laboratoires innombrables ? Et puis, il n’était pas prouvé, après tout, que les hommes manquassent à ce point de pru-