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LES GARDIENNES

Vers le soir, Francine eut à monter à Château-Gallé. Claude s’était réfugié chez lui et Hortense l’avait suivi. Quand Francine arriva, elle trouva la Misangère dans son courtil : assise sur un banc de pierre, elle cousait une bande de crêpe sur une cape de deuil : elle leva la tête et dit :

— N’entre pas… ne fais pas de bruit… Il dort.

Elle parlait de son mari comme elle eût parlé d’un enfant très faible.

Francine, à voix basse, dit ce qu’elle avait à dire ; puis elle s’assit sur le banc, et, prenant un côté de la cape, se mit à coudre, elle aussi.

La Misangère la laissa faire ; bientôt même, elle lâcha le vêtement afin que la servante pût achever seule ce travail. Quand la bande fut cousue, Francine plia la cape et la posa à côté d’elle sur le banc. Elle se leva ensuite mais ne s’en alla point.

La Misangère, immobile, les coudes aux genoux, pleurait silencieusement ; sa belle figure blanche, levée, eût semblé une figure de marbre, n’eût été le tremblement de ses lèvres.

Francine s’approcha doucement et avança ses mains. La Misangère les prit dans les siennes, son front s’abaissa.

— J’ai une bien grande peine ! murmura-t-elle.

Jamais personne, jusqu’à ce jour, ne s’était de la sorte confié à Francine. La pauvre fille se sentit bouleversée à voir cette femme si hautaine qui s’abandonnait ainsi devant elle et dont les larmes ruisselaient sur ses mains. Elle eût voulu, par quelque moyen, montrer sa gratitude et son dévouement,