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LES GARDIENNES

la commander ; autrement ils ne lui parlaient jamais. Elle pleura cependant en quittant la maison à cause d’un chien qui l’aimait beaucoup.

Servante de ferme à partir de quinze ans, elle apprit à se méfer de la brutalité des hommes et non point seulement des jeunes. Elle eut sucecssivement quatre patronnes qui ne furent ni bonnes ni mauvaises, mais qui ne s’inquiétèrent nullement de se l’attacher. Partout où elle passa, elle fut une étrangère à laquelle on ne demandait que de la besogne. Au travail, elle était à peu près l’égale des autres, mais, aux jours de fête, aux heures de repos, elle retombait dans son isolement. Si, parfois, elle essayait de prendre part aux divertissements de jeunesse, elle se sentait repoussée aux dernières places ; les filles la tenaient à l’écart, même celles qui étaient servantes comme elle ; quant aux garçons, ils lui réservaient leurs propos les plus hardis et les plus grossiers.

Francine ne gardait rancune à personne ; quand elle réfléchissait à tout cela, elle n’était ni étonnée ni indignée ; elle se disait qu’on la traitait selon son rang. Seulement, à de certaines heures, le monde lui paraissait très grand.

Elle ne pouvait perdre l’habitude de partager ingénument la peine des autres. Quand la guerre éclata et que les hommes de la ferme où elle était en service partirent, elle pleura avec toute la maisonnée ; par la suite, elle témoigna d’une inquiétude sincère, demandant des nouvelles, écoutant la lecture des lettres. Elle ressentait obscurément la dou-