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LES GARDIENNES

sans hardiesse sur les gens, mais s’éclairaient à la moindre parole d’amitié ; à l’ordinaire, ils étaient un peu tristes, pleins de cette douceur résignée que l’on voit aux êtres aimants et rudoyés.

Elle était seule sur la terre parmi les indifférents. Son nom même ne la rattachait à personne ; on le lui avait donné à l’Hospice, comme on lui eût donné un numéro, en prenant bien soin que ce nom ne füt pas un nom ordinaire appartenant déjà à quelqu’un du pays.

Quelques jours après sa naissance, on l’avait placée chez une nourrice dans un hameau perdu où l’inspecteur ne passait pas souvent. Cette nourrice était sans méchanceté, mais d’esprit bas ; entre ses mains, un bébé de l’Assistance et deux de ses propres enfants étaient morts déjà, dans la misère et dans la crasse. Par miracle, grâce à son beau sang, la petite Francine atteignit cinq ans chez cette femme. À ce moment, un bon inspecteur en tournée la trouvant, un matin d’hiver, à moitié nue et mangée de poux, l’emmena bien vite pour la placer ailleurs. Elle n’était cependant pas encore sauvée. En effet, elle alla ensuite chez une veuve très rude qui comptait un peu trop sur l’argent de l’Assistance et qui la nourrissait chichement. À douze ans, elle entra à l’Hospice pour une longue maladie ; ce fut son meilleur temps, car une vieille religieuse la soigna avec affection.

Quand l’âge fut venu, elle entra en condition. À la ville, d’abord, chez de petites gens qui faisaient les fiers et l’appelaient « Marie » lorsqu’ils voulaient