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LES GARDIENNES

Le soir, à la maison, quand les beaux-parents parlèrent de se retirer, il les pria à dîner, insistant fortement. Il s’assit à la place du maître avec son enfant sur les genoux et les autres se groupèrent autour de lui, un peu craintifs et émus. La Misangère servait ; elle s’arrêtait de temps en temps pour mieux écouter ; à la fin, elle vint s’attabler elle aussi, en face de son gendre.

Il s’enquérait de tout ce qui s’était passé chez lui depuis son départ, distribuait les éloges ou le blâme. Contre les femmes qui avaient abandonné leur eulture, il parlait fort mal. Il donna des ordres pour les labours d’automne et les emblavures.

Solange demanda :

— Crois-tu pas que la guerre finira bientôt ?

— Je n’en sais rien, répondit-il ; on ne peut rien connaître à ce chantier-là. La guerre, ce n’est pas un travail avantageux…

Il parla alors de ce qu’il avait vu depuis quinze mois, des pays qu’il avait traversés et des cultures qu’on y rencontrait. Il essayait de faire comprendre l’infinie désolation de la guerre, disait les champs dévastés, les arbres hachés, les récoltes pillées, brûlées ou pourrissant sur pied ; les bêtes, aussi, lui tenaient à cœur, ces immenses convois de bœufs que l’on amenait à l’arrière pour nourrir l’armée et surtout ces pauvres chevaux que les obus éventraient ou qui crevaient d’épuisement. Des hommes il parlait peu.

Antoine, le valet, pensant lui plaire, se mit à dire des choses qu’il avait lues le dimanche précédent