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LES GARDIENNES

Au printemps, elle avait pris pour l’aider le seul journalier que l’on pût trouver dans le Marais, L’homme, à vrai dire, n’était journalier que depuis le début de la guerre ; auparavant nul n’eût jamais songé à l’employer sérieusement. Marivon — c’était ainsi qu’on l’appelait — n’avait point réputation de malfaisance, mais il faisait pitié comme font pitié les faibles et les innocents et il prétait à sourire.

On ne lui connaissait aucun parent ; il ne possédait rien et habitait une pauvre hutte isolée entre Saint-Jean et Sérigny. On ne savait plus exactement comment il était venu s’installer dans cette hutte et lui-même l’avait sans doute oublié ; il était là depuis plus de trente ans, vivant par miracle de Dieu, comme vivent les bêtes libres. On ne l’avait jamais vu s’astreindre à un travail régulier. Complaisant, il ne refusait pas cependant de donner un coup de main ici ou là quand on l’en priait, à condition que l’effort durât peu ; jamais il ne réclamait paiement et il y avait des gens qui ne lui donnaient rien.

Il maraudait bien un peu quand le besoin le poussait ou le diable, mais comme ses médiocres larcins portaient sur une grande étendue de paye, on ne lui gardait pas durement rancune.

Personne ne connaissait le Marais comme lui. Sur son petit bateau de bois blanc, il voyageait, nuit et jour, par les conches et les fossés ; même au cœur de l’hiver, même au temps des crues printanières, quand le pays n’est plus qu’un lac d’où émergent