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LES GARDIENNES

L’enfant, hors de lui, lança un juron d’homme ; et il y avait de l’angoisse dans sa voix frêle, mais aussi de la colère et une énergie désespérée. Bloquant les freins, il se mit à cogner à tour de bras avec le manche de son fouet. La bête mauvaise repartit au galop et bientôt la voiture fut hors de vue.

La Misangère, les jambes tremblantes, demeura sur place à écouter le bruit de cette course folle et les ahans du petit qui frappait toujours.

La voiture ne revint qu’à onze heures du soir. La Misangère l’attendait au passage, une lanterne à la main. Le cheval rentrait au pas, la tête basse, fourbu. La Misangère leva sa lanterne ; l’enfant, épuisé, était affaissé sur le siège ; il se redressa sous le jet de lumière et voulut prendre un air brave, mais de grosses larmes dansaient en ses yeux.

— Es-tu blessé ? demanda-t-elle ; qu’as-tu ?

— Je n’ai rien… rien du tout.

Elle reprit :

— Je vois bien que tu as de la peine ! parle-moi, petit !

Alors il s’abandonna :

— Eh bien ! j’ai perdu une pratique. Voilà !… Là-bas, à Moulin-Gros, je suis arrivé trop tard ! les gens étaient couchés et ils m’ont mal reçu. Marguerite ne sera pas contente… Nous ne voulons pas les perdre, nos pratiques !

Il pleurait tout de bon. La Misangère, du dos de sa main, lui toucha la joue à plusieurs reprises, très doucement.