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LES GARDIENNES

ne savez donc pas toute la peine que j’ai ?… Ah ! vous êtes dure, dure…

Droite au milieu de la pièce, la Misangère reprit :

— Ce n’est pas pour mon plaisir. Il faut de la dureté parce que nous vivons en des temps de grande misère. Je ne suis pas injuste comme tu dis ; je sais bien que tu as du travail et des soucis ; mais songe à ton mari, songe à tes frères et tu n’oseras plus jamais te plaindre. Ta part de peine est petite auprès de la leur… Quand ils reviendront, 11 faut qu’ils puissent retrouver leur place et ils auront mérité de la retrouver plus belle qu’ils ne l’ont laissée. Ma fille, tu resteras au Paridier quoi qu’il puisse t’en coûter.

Elle parlait d’une voix moins âpre.

— Ma fille, redresse-toi et prends courage : ton père et moi nous serons auprès de toi pour t’aider.

Solange se défendit encore un peu.

— Mais vous êtes fatiguée, vous aussi, mère, et mon père l’est encore plus. Comment voulez-vous que nous fassions ? Je vous assure que ce n’est pas possible.

— Ne t’inquiète pas de savoir si c’est possible ou non. Va droit !

Après un court silence, la Misangère reprit :

— Allons, mange bien vite et va te reposer ; il y aura grand travail demain… J’ai commandé les valets.

Solange eut un geste vague de consentement. Plutôt que de continuer la discussion, elle préférait céder, ou, du moins faire semblant. Or verrait plus