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LES GARDIENNES

de mauvaises gens pour me chercher noise, je leur dirai : « J’ai quelqu’un dans ma maison qui saura vous répondre. » Il passera devant moi : « Laissez ma mère tranquille et filez votre chemin… » Au besoin, pan ! sur le nez…

Cette idée qu’elle ne serait plus jamais seule, que sa vie aurait son bon soutien, accompagnait Francine tout au long des heures ; et, toujours, son esprit était ainsi en travail de prévision pour les formes que prendrait plus tard son bonheur. Quant à ce bonheur lui-même, elle le mettait si peu en doute qu’elle en jouissait à l’avance et non point secrètement. Aux yeux de tous, elle devenait plus gaie, beaucoup plus hardie et grande parleuse aussi. Il n’était pas rare de l’entendre chanter, lorsqu’elle se trouvait seule à travailler au Marais, ou bien lorsqu’elle suivait les routes d’eau, sur un bateau berceur. De bonnes gens, des vieillards malins, lui demandaient :

__ Chantez-vous la fin de la guerre, jeune fille, et le retour de votre promis ?

Ils pouvaient parler ainsi car la victoire était enfin venue et plus d’une, parmi les gardiennes, portait sa joie comme un vêtement de fête.

Francine n’avait plus son pauvre sourire de lassitude et de résignation ; elle riait franchement, regardait les autres bien droit. En quelques semaines elle apprit à connaître beaucoup de gens du pays. Elle s’intéressait aux familles voisines, surtout aux femmes qui restaient veuves avec des enfants. Il lui arrivait de questionner un peu plus qu’il n’était