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LES GARDIENNES

mière dégageait la cime d’un peuplier et tombait entre les arbres, en pluie fine et droite ; tantôt des lueurs inexplicables naissaient parmi les roseaux, des lueurs d’aube qui rampaient un moment sur les herbes d’eau, puis, lentement, s’évanouissaient. Ce n’étaient que formes irréelles, apparitions glissantes, frôlements blèmes, effacements. Par-dessus tout, emplissant tout, un silence surnaturel.

Agenouillée au bord du bateau, Francine, de nouveau, ferma les yeux. Sur une pente douce où rien ne pouvait la retenir, sans inquiétude ni souffrance, elle tombait, tombait…

Un vague sourire passa sur ses lèvres ; elle dit tout haut, d’une voix de somnambule :

— Il y a encore de beaux endroits pour se noyer… Francine Fiant, de l’Assistance… Francine Riant qui était seule sur la terre…

Elle se pencha sur l’eau…

Un grand cri !… un cri rauque de surprise et d’horreur ! Francine s’était rejetée en arrière, si brusquement que la légère embarcation faillit chavirer : elle venait de sentir en elle un tressaillement inconnu…

Hâtivement, elle fit un signe de croix, joignit les mains pour une prière… mais elle avait à peine commencé, que le frisson de vie la secoua encore. Ses mains glissèrent à ses flancs, ses bras se croisèrent étroitement en un geste de protection ; et elle demeura ainsi, le corps ployé, haletante.

Et puis la peur la souleva… Elle venait de partout, la peur ! de la nuit livide, des formes surpre-