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LES GARDIENNES

Le bateau, lentement, gagna le milieu de la clairière et s’immobilisa,

Francine appela quatre ou cinq fois ; mais sa voix n’allait pas loin, tout de suite étouffée par le brouillard et rompue par les innombrables rideaux de feuillage. Seuls, quelques corbeaux répondirent en recommençant leur ronde,

Alors, Francine s’assit au milieu du bateau, puis s’allongea comme pour dormir. Nulle frayeur, mais une lassitude infinie, une sorte de lâcheté étonnante et inconnue… Elle songeait aux dernières paroles de Georges ; après cela, il n’y avait plus rien à tenter, rien à dire… plus rien ! Il fallait tout accepter sans lutte.

« Elle se met en débauche avec les Américains. une coureuse de grand chemin ! » Il lui semblait entendre la voix cruelle, mais elle venait de loin, cette voix, de si loin qu’elle ne pouvait presque plus faire blessure.

Francine ferma les yeux ; ses pensées flottèrent comme fumées que le vent emmêle. Sur une pente douce mais où rien ne pouvait la retenir, elle tombait, tombait, sans inquiétude ni souffrance, vers un abîme où voyageaient des lueurs pâles…

Ce fut le froid qui la tira de cet engourdissement. Redressée, elle ouvrit les yeux et vit un spectacle étrange qui prolongeait son rêve.

La lune assiégeait le Marais. Rien n’était tout à fait visible et rien n’était tout à fait obscur, mais, par les lents mouvements de la brume, tout changeait d’aspect d’instant en instant. Tantôt la lu-