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LES GARDIENNES

S’étant cachée parmi les roseaux d’une conche, elle l’avait aperçu de loin et son cœur s’était mis à battre sur une cadence affolée à l’idée qu’il faudrait l’aborder, lui barrer la route et lui parler à la façon d’une mendiante ennemie. Quand elle le vit accoster de l’autre côté du canal et prendre Marguerite au passage, le dépit la pinça dur et cependant, peu après, quelque chose en elle se détendit… Au moins, elle n’aurait pas à parler ; ce ne serait pas encore pour cette fois.

Aussitôt, elle pensa s’éloigner ; mais les deux autres qui approchaient assez vite, la verraient fuyant. Elle poussa son bateau vers la berge, descendit et s’accroupit derrière les roseaux. D’abord, elle s’y tint la tête baissée, ne voulant pas voir ; puis la curiosité fut la plus forte et, par une étroite embrasure, entre les feuilles, elle regarda.

Dans l’eau calme du canal se reflétaient les pâles quenouilles des peupliers de bordure et la procession blanche des nuages ; le bateau semblait glisser sur un pan de ciel. Marguerite avait pris place à l’arrière près de Georges et le soleil oblique allongeait leurs ombres côte à côte.

Bientôt, Francine entendit le murmure des voix énamourées. La voix de Georges était grave et chantante et celle de Marguerite sonnait clair. Et puis elle n’entendit plus rien : trois soldats d’Amérique passaient sur le chemin de halage… Marguerite s’était un peu éloignée de Georges qui manœuvrait sa rame en silence ; ils rapprochèrent leurs têtes dès que les étrangers eurent disparu.