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LES GARDIENNES

sur la bête à tour de bras. Le mulet se jetait de côté, boxait, ruait en vache, traîtreusement ; mais, au risque de se faire tuer, la femme cinglait toujours, les dents serrées, les yeux fulgurants.

Le mulet finit pas comprendre qu’uné volonté virile animait cette personne si menue ; en sa cervelle obscure, peut-être pensa-t-il que le grand Roque lui-même était revenu, le grand Roque avec qui il ne fallait pas badiner… Il s’immobalisa, les oreilles frémissantes et pointées.

Alors la femme défit le nœud de la longe, tira haut la tête du mulet, jusqu’à lui coller les naseaux à la muraille. Comme il découvrait encore ses dents jaunes, elle se dressa et de son petit poing noir, fermé comme un poing d’homme, elle lui meurtrit les lèvres d’un coup dur. Après quoi, elle lui saisit une patte de devant et, d’un brusque effort, la leva très haut, faisant eraquer les jointures.

La Misangère qui avait vu toute la scène en ressentit de l’émotion.

Malgré sa hâte d’arriver au Paridier, elle se détourna un peu de son chemin et avança, comme elle faisait toujours, jusqu’à la boulangerie du cousin Ravisé. Ce dernier était parti à la guerre avec les dernières levées ; veuf, il n’avait laissé en sa maison que deux enfants : Marguerite, une frêle blonde de dix-sept ans à peine et Lucien, de deux ans plus jeune, Au moment de partir, il leur avait montré l’argent qu’il possédait, disant :

— Vivez comme vous pourrez avec cela en attendant mon retour.