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LES GARDIENNES

épaissie. Lorsque le foin arrivait juste à sa portée, elle le tassait en se laissant tomber à genoux. Bien que la sueur ruisselât de son visage, elle demeurait très blème, étourdie par l’odeur du foin. Elle avait les Yeux secs, froids, obstinés.

La Misangère s’approcha et lui dit :

— Songe à ton état, ma fille ; fais bien attention !

— Je n’en ai point le temps ! répondit-elle.

Et la Misangère pensa :

— Celle-ci ne se découragerait pas pour une faucheuse cassée.

Elle continua son chemin. La faiblesse d’âme de Solange l’humiliait cruellement. Partout, en effet, les femmes travaillaient avec une inlassable énergie ; malgré l’heure tardive, elle en rencontra qui ramenaient encore vers la plaine des charrettes vides.

Chez Roque le forgeron, la Misangère aperçut la grand’mère tirant le soufflet. Dans la cour, on ferrait un mulet, une mauvaise bête aux oreilles couchées qui dansait et ruait. Il y avait là le vieux Roque qui, à soixante-dix ans, son fils parti, avait repris le tablier de cuir ; sa bru, une petite femme noiraude tenait une patte de la bête.

Comme la Misangère passait, il Y eut des cris dans la cour, Le mulet, changeant de manière, cherchait à mordre. Le vieux recula, tenant le fer au bout de sa pince ; c’était la dixième fois peut-être et il se décourageait. Alors la bru perdit patience : saisissant une lanière de cuir qui se trouvait là, un trait avec sa boucle d’attache, elle se mit à frapper