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LES GARDIENNES

de la route deux femmes, la vieille Candé et sa bru soutenaient le foin avec leur fourche. À l’entrée du village, comme l’attelage s’engageait dans une ruelle, une roue sauta sur une pierre ; tout le chargement glissa, couvrant les deux femmes qui, dans ce passage étroit, n’avaient pas eu le temps de s’écarter.

La Misaugère s’était précipitée mais, déjà, les deux femmes surgissaient à la façon des taupes sortant de terre. En sueur malgré la fraicheur du soir, elles se regardèrent un instant sans parler. La vieille, couleur de brique, écartait de son front de courts cheveux gris mêlés de foin ; la jeune, livide, avait les deux mains à plat sur le ventre.

Le petit gars expliquait :

— C’est la deuxième fois que ça tombe : elles ne savent point dresser la charretée.

Alors la vieille dit simplement :

— Rechargeons !

L’enfant fit reculer l’attelage sur la route et les deux femmes se mirent à l’ouvrage. La vieille commença de s’escrimer, enfonçant sa fourche dans l’énorme tas de foin comme elle eut piqué le dos d’une bête rétive. Ayant retiré son caraco, elle n’était vêtue que d’une chemise et d’un jupon court ; sa peau flétrie apparaissait et ses bras, maigres et bruns, étaient semblables au manche de son outil. La jeune, péniblement, avait grimpé sur la charrette ; elle recevait le foin et le plaçait de son mieux, encore une fois. Elle levait les bras le moins possible et, de temps en temps ramenait les mains à sa taille