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LES GARDIENNES

mure ; de confiance elle sourit pourtant, de toutes ses rides. Puis comme l’autre se penchait pour lui parler à l’oreille :

— Oh ! dit-elle, par la grâce de Dieu, j’entends encore très bien… et mes yeux, aussi, sont des meilleurs… Messieurs les médecins me font souvent de grands compliments… Je ne les crains pas, moi, messieurs les médecins !

Elle prit un petit air fier et continua :

— Dieu m’a gardée aussi forte qu’au temps où je soignais les lépreux dans les pays chauds… Aussi n’irai-je pas dans une maison de retraite comme sœur Marie-Amédée qui a vingt ans de moins que moi. Je ne suis jamais fatiguée et pourtant j’ai du travail. Regardez plutôt !

Elle montrait, sur le guéridon, les petites dentelles de papier. C’étaient de simples feuilles de calendrier, patiemment découpées aux ciseaux par les mains adroites des convalescentes. Sœur Angélique, depuis quelque temps, s’était enthousiasmée pour cette industrie qui lui paraissait d’une grande nouveauté. Elle allait d’un pavillon à l’autre recruter ses travailleuses ; on la voyait se glisser derrière les médecins avec une paire de fins ciseaux, des feuilles de papier et des modèles ; elle rencontrait peu de mauvaise volonté. Il lui arrivait de travailler elle-même comme une ouvrière en ce joli métier et, ce qu’elle obtenait, elle le trouvait satisfaisant ; à vrai dire, ce n’était pas souvent, car la recherche de la main-d’œuvre lui prenait bien du temps et elle n’allait pas vite par les escaliers. Après besogne faite, elle