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LES GARDIENNES

Une lettre vint à ce moment du fond de l’Allemagne où Clovis travaillait aux cultures des ennemis dans une équipe de prisonniers. Le gendre n’avait pas le droit d’écrire grand’chose ; cependant, on le sentait en tourment pour les champs de chez lui.

Cette lettre fut, pour la Misangère, un coup de fouet. Elle reprit le commandement et mena son monde plus vivement qu’elle n’avait jamais fait ; elie-même donnait l’exemple, travaillait comme une forcenée.

Elle se trouvait sur le siège de la lieuse, dans un champ du Paridier, quand on vint lui annoncer que Georges était dans un hôpital des armées, blessé aux jambes. Ayant pris la lettre qu’on lui apportait et qui n’était pas de son fils, elle la parcourut, puis, sans rien dire, elle remit l’attelage en marche. Les bêtes n’allèrent pas loin ; après quelques pas, elles s’arrêtèrent d’elles-mêmes. La Misangère sur le siège, était affaissée ; ne voyant plus rien, sentant un grave étourdissement la gagner, elle voulut descendre, mais ses jambes plièrent et elle roula sur le chaume.

Un sursitaire qui, de loin, suivait la machirre pour relever Jes gerbes, accourut aussitôt. La Misangère se redressait déjà ; un genou à terre, blanche comme un cadavre, elle étendit les bras pour écarter l’homme. Comme il insistait, raisonneur et pressant, exigeant qu’elle rentrât à la maison pour se reposer, elle le renvoya à ses gerbes d’un ton sec qui n’admettait pas réplique.

D’un grand effort elle se mit debout et elle re-