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LES GARDIENNES

La Misangère, toutes les fois qu’elle le pouvait, emmenait l’enfant au travail. Elle veillait sur ses amusements, éloignait de lui les camarades vauriens. Surtout, elle lui interdisait d’approcher les Américains et de là venaient leurs plus gros différends. Un jour, elle mit la main sur une pipe et plusieurs boîtes de tabac étranger. Aussitôt elle alla au cantonnement américain et, ayant demandé à voir le chef, elle fit sa réclamation.

Il y avait, dans le bureau où elle parlait, plusieurs jeunes hommes gradés ; ils souriaient, ne prenant pas la chose bien au sérieux. Elle s’impatienta, les traita de haut et leur dit, sur leur façon de faire la guerre, des choses très dures et assez injustes. Parmi ces soldats, il y en avait un qu’elle connaissait bien, qu’elle haïssait ; elle le dévisageait sans douceur ; au premier mot qu’il risqua, elle lui ferma la bouche d’un geste de sa main lancée à toute volée, comme pour une gifle.

D’ailleurs, elle faisait retomber sur tous les Américains les péchés de quelques-uns. Maintenant, elle ne leur fournissait plus aucune denrée et, quand ils se présentaient à la ferme, elle les invitait aussitôt à prendre le large.

Au Paridier, devant chacun, elle parlait encore à Solange comme une mère un peu sévère peut parler à sa fille ; mais, en tête-à-tête, elle ne lui adressait plus la parole autrement que pour lui donner brièvement des ordres. Et l’autre, rebelle en son cœur, pliait néanmoins, provisoirement domptée après une scène terrible dont elle ne se vanterait jamais.