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LES GARDIENNES

— Hortense dit tranquillement :

— Non, tu ne partiras pas de grand matin.

— Pour la foire cependant…

— Tu n’iras pas à la foire. Couche-toi et dors. Je m’en vais voir Solange.

S’appuyant sur un bâton, elle sortit en boitant ; | et lui, derrière elle, s’avança jusqu’au seuil.

— Hortense, écoute-moi… Laisse-la tranquille ! elle a raison… Hortense tu ne peux pas marcher : tu vas forcer ta jambe…

Elle sortit du courtil sans se retourner ni répondre ; la barrière retomba, claquant sec.

Le père Claude leva un peu les bras et gémit :

— Elle nous fera tous périr !

Puis il revint vers son lit ; recru de fatigue, il se coucha et s’endormit.


La Misangère descendait vers Sérigny. Il lui fallait traverser le village dans toute sa longueur pour arriver au Paridier. À chaque pas qu’elle faisait, il lui semblait qu’un couteau lui traversait la cheville.

Le crépuscule tombait lentement et, du côté du Marais, une brume légère enveloppait déjà les peupliers. Cependant l’effort des travailleurs ne diminuait nulle part. Le bruit des faucheuses s’entendait encore dans toutes les directions. De hautes charrettes chargées de foin rentraient au village. Devant la Misangère, une de ces charrettes avançait lourdement, trop large, mal équilibrée, menaçant, à chaque cahot, de laisser tomber sa charge. Un enfant marchait à la tête de l’attelage ; sur un des côtés