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LES GARDIENNES

Il tendait ses mains, des mains dures, aux jointures noueuses, aux ongles déformés, de pauvres mains usées au service de la terre et que l’âge, maintenant, faisait trembler.

Elle détourna les yeux et demanda avec quelque douceur :

— Veux-tu manger ?

— Non ! je veux me coucher ; je ne tiens plus debout.

Il passa devant elle et se dirigea vers le fond de la pièce où il y avait un haut lit à la mode ancienne. Mais elle demanda :

— Que compte faire Solange ? Qu’avez-vous décidé pour demain ?

— Demain ?

— Oui, demain… On doit pouvoir réparer cette faucheuse, quoi que tu en dises ! Si on ne la répare pas, il faut en trouver une autre… On ne va pas laisser pourrir l’herbe sur pied ! il faudra du foin, l’hiver prochain… Que comptez-vous faire ?

Elle parlait de nouveau d’une voix âpre, pressante. Il répondit, sans se retourner :

— D’abord, moi, je vais à la foire, demain ; je mène vendre les bœufs de quatre ans… Solange le veut ainsi.

— Ah !

— Oui !… Cette vie ne peut plus continuer : comprends-le donc à la fin !… Ni hommes, ni chevaux, comment veux-tu qu’on fasse ? Solange, peu à peu, va se débarrasser de ses aumailles ; cela lui fera de