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LES GARDIENNES

— Solange en a assez ! Elle ne peut plus continuer ! Voilà ce qu’il y a… Aujourd’hui, les bœufs ont pris la mouche dans le pré Bruffier… ils ont emporté la faucheuse et l’ont à moitié démolie… impossible, tu penses, de la faire réparer à temps… Et il est inutile de prier les valets de manier la faux : l’un ne sait pas, l’autre ne veut pas… De toutes manières, c’est au bout !

Penchée, les deux mains sur la table, elle le regardait en face, les yeux durs.

— Eh bien ! toi, dit-elle, tu ne sais donc plus faucher ? il me semble que tu l’as fait assez souvent, autrefois…

— À mon âge, je ne peux pas remplacer trois hommes… J’ai soixante ans et de la fatigue dans les membres.

Elle dit, de sa voix nette, une phrase que le vieux connaissait bien :

— Le travail d’un homme fatigué ne se distingue pas de l’autre…

Le père Claude hocha la tête :

— Tu parles bien !… Tu es encore jeune, toi !… moi, je suis las… je suis las…

Elle le cingla.

— Tu es las, dit-elle, depuis le jour de ta naissance.

— Hortense ! peux-tu dire ?…

Il s’était relevé péniblement et il se tenait devant elle, sans colère, mais les yeux tristes.

— Peux-tu dire, Hortense, que je n’ai pas travaillé dans ma vie ?…