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LES GARDIENNES

cine s’était approchée de Georges ; agenouillée devant lui, les mains hautes, elle écartait de son front les branches pendantes qui, lâchées, sifflaient et fouettaient l’eau derrière eux. Le heurt du bateau sur une racine les jeta l’un contre l’autre. Leurs mains fraîches se nouèrent ; ils eurent un rire sourd.

Le fossé débouchait dans la Belle Rigole.

— Voici, dit Georges, l’endroit le plus plaisant du pays et, pour moi, le plus plaisant du monde.

Il plaça son bateau bien droit au milieu de la route d’eau et posa sa pelle à l’arrière. Puis il vint s’asseoir à côté de Francine.

— Maintenant, dit-il, c’est le hasard d’amour qui nous conduira.

Ils se penchèrent tous les deux sur l’eau sans rides.

— C’est ici l’eau la plus profonde du Marais et la plus pure ; les herbes du fond ne montent point à la surface comme ailleurs. Regardez l’eau, Francine ! on la croirait immobile et, cependant, elle nous emmène doucement comme en un beau songe… On la croirait toute noire et cependant je vois à travers comme je vois jusqu’au fond de vos yeux,

Visage contre visage et se tenant aux épaules, ils se laissaient emporter sous la voûte des peupliers enlacés. Entre les troncs lisses et pâles, des frênes se penchaient comme pour mirer dans l’eau leur tête blonde. Les derniers bourgeons venaient d’éclater ; toutes les feuilles étaient sorties et palpitaient sous le ruissellement du soleil. Par de petites embrasures passait la lumière victorieuse et les feuilles du pourtour paraissaient d’or transparent et fragile.