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LES GARDIENNES

La Misangère, de sa propre autorité, fit mander le médecin. Celui-ci parla assez mal, recommanda des soins attentifs. C’était un vieil homme de la plaine, ennemi juré du Marais ; il vitupéra contre les gens des Cabanes, pieds-mouillés, mangeurs de brouillard, contre leur funeste habitude de construire leur demeure juste au bord de l’eau.

— Au moins, disait-il à Léa, puisque vous ne pouvez pas, pour le moment, aller vous établir plus haut, vous ne sortirez pas durant cet hiver : je vous le défendse ! Faites un beau feu flambant et restez dans votre maison.

Paroles prudentes mais bien inutiles. Dès que la fièvre fut tombée, Léa se leva ; il lui tardait d’aller visiter ses bêtes que Maxime et Francine avaient eu la charge de soigner durant sa maladie. Et faible encore, la poitrine sifflante, le cœur défaillant, elle s’aventura jusqu’au pré paradis nouvellement acquis que les grandes eaux baignaient.

— Norbert, disait-elle, n’a-t-il pas les pieds mouillés, lui ?

Elle méprisait son mal, tenait debout à force de volonté. Sa mine pitoyable inquiétait grandement la Misangère.

Chaque jour, celle-ci venait à la Cabane : elle apportait, sinon une aide appréciable, du moins des conseils de prudence. Elle était fort attachée à sa bru sans qu’il y parût beaucoup et sa bru la respectait. Les deux femmes se comprenaient à demi-mot ; quand la Misangère, étonnée par tant de courage, murmurait avec admiration :