Page:Pérochon - Les Gardiennes (1924).djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
LES GARDIENNES

par jeu, au milieu du canal, sous les yeux des jolies maraîchines.

Celui-là, non ! il n’avait rien à lui ; ni terres, ni maison, ni place, ni métier, même, à vrai dire ; il n’avait que sa jeunesse. Eh bien ! quand il reviendrait — car il reviendrait, mon Dieu ! — il serait heureux, lui aussi, de retrouver aux choses aimées le tendre et gai visage qu’elles gardaient en son souvenir.

Quand il reviendrait, il s’établirait selon son cœur, dans de bonnes conditions ; il s’établirait à la boulangerie où il y avait une fille toute jeune encore mais jolie et brave et qui l’attendait.

Pour le bonheur de Georges comme pour celui des autres, il fallait tenir sans compter les heures de souffrance, lutter contre le froid, contre le chaud, contre le chagrin qui ronge et affaiblit, affronter l’impossible, sans relâche.

« Vous devez travailler jusqu’à l’épuisement de ves forces afin que les soldats ne manquent de rien… »

La Misangère se répétait les paroles de l’officier. À coup sûr, il fallait travailler pour cela : c’était une chose facile à comprendre et qui, même, allait de soi. Mais les propos légers du conscrit lui apportaient peut-être une certitude plus grande encore :

« Préparez pour mon retour un bateau peint en vert… et dites-moi s’il passe des sarcelles… »

Il fallait tenir, non seulement pour des raisons ordinaires et directes, mais pour d’autres raisons qu’elle ne savait guère formuler, et qui, cepen-