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LES GARDIENNES

part en Bons du gouvernement sans demander autorisation ni conseil à personne ; le reste fut mis de côté afin d’acheter une petite charrette à fourrage et une herse nouvellement inventée dont on disait grand bien.

En sortant du Paridier, la Misangère passait à la boulangerie. En effet, des inquiétudes lui venaient aussi de ce côté, Lucien ne se plaignait jamais mais il s’énervait parfois, recevait mal les agents du ravitaillement ; quant aux clients grincheux, ils n’avaient qu’à se bien tenir ! Vers la fin de novembre, par bonheur, Ravisé obtint une permission de dix jours et le petit gars prit un peu de repos. Dès que le père eut rejoint l’armée, les difficultés recommencèrent.

Le mal venait de Marguerite…

Grâce à Marguerite, autrefois, la maison était aimable et gaie ; aux pires heures on entendait son rire, son rire enfantin, mais brave, et qui facilitait tout. Où donc à présent ces éclats de jeunesse ?

Marguerite tombait en langueur, Elle travaillait toujours et personne ne pouvait lui faire de gros reproches à ce sujet, mais elle travaillait sans joie, d’une allure lasse, comme à regret.

Plusieurs fois, la Misangère la surprit pleurant, sans pouvoir deviner la vraie raison de son chagrin. Elle la questionnait cependant avec douceur. Elle disait :

— Ton père n’est nullement en danger en ce moment. Pourquoi t’inquiètes-tu de la sorte à son sujet ?