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LES GARDIENNES

sœur, à sa belle-sœur aussi, des ordres inattendus et rudes. Il écrivait :

« Vous devez travailler pour que les soldats ne manquent de rien ; vous devez travailler jusqu’à l’épuisement de vos forces, jusqu’à en mourir s’il le faut… La souffrance et la mort ne comptent pas plus pour vous qu’elles ne comptent pour les combattants. »

Georges, le fils dernier, envoyait au contraire de longues lettres puériles. La veille, précisément, n’avait-il pas écrit à sa belle-sœur, la maraîchine, pour lui demander si l’année s’annonçait bonne pour le poisson, si l’anguille commençait à « donner » à la vermée et s’il était resté beaucoup de sarcelles !… Et il recommandait aussi de peindre le bateau neuf en vert très clair…

Il était si jeune ce dernier des Misanger ! Un enfant ! mais un enfant robuste et de belle race dont on avait fait très vite un soldat et qu’on allait bientôt jeter au-devant de la mort.

Le cœur de la mère se brisait en songeant à cela. Elle revoyait ce fils préféré, son beau Georges, haut et mince, avec sa peau de fille et ses dents fraiches, avec ses yeux clairs qui riaient toujours.

Lorsque la ferme était passée au compte de Clovis, le jeune homme, abandonnant la culture, était entré à la boulangerie du cousin Ravisé. La Misangère le revoyait au seuil de la boutique, un refrain aux lèvres, ou bien sautant sur sa bicyclette pour courir la plaine, ou bien encore, par les beaux dimanches de joie, debout, la perche en main, sur son petit bateau de pêcheur d’anguilles qu’il faisait danser