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LES GARDIENNES

moi les fruits de mon verger et versez dans mon verre le vin de ma vigne !

Et Norbert, le fils aîné qui avait épousé une maraîchine, Léa de la Cabane Richoix, Norbert aussitôt revenu, sauterait dans son bateau et se dirigerait vers les roselières, disant :

— Je vais voir si l’herbe se maintient saine dans mon pré Cloux… J’avais planté cinquante peupliers au paradis de la Motte-Fagnoux : ils doivent, à présent, faire une belle percée.

Il parlerait ainsi, car il s’était fort attaché à son pays d’élection, à cet étrange pays du Marais où la terre est presque aussi mouvante que l’eau. Il fallait que les prés fussent soignés, l’herbe fauchée au bon moment, les arbres protégés et les fossés entretenus par où glisse insensiblement l’eau dormeuse d’une conche à l’autre. On lui devait cette joie, à Norbert, après l’horreur des champs de bataille.

Quant à Censtant et à Georges… Ceux-ci ne possédaient rien, n’avaient pas de foyer encore. Constant, le fils cadet, était parti à vingt-trois ans pour la ville. Un matin, il avait dit : Je m’en vais ! et rien n’avait pu le retenir. Sérieux, instruit et de volonté rigide, il s’était fait une bonne place dans les services des chemins de fer. Maintenant, à l’armée, il gagnait les hauts grades ; et il l’annonçait à ses parents comme une chose naturelle et qui lui était bien due. Ses lettres, qu’on montrait avec fierté, étaient hautes de ton et quelquefois un peu effrayantes. De là-bas, il dictait à ses parents, à sa