Page:Pérochon - Les Gardiennes (1924).djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
LES GARDIENNES

— Tu nous feras tous périr !

Pour la première fois depuis longtemps, il régardait sa femme en face, sans nulle crainte. Il parlait librement, prenait sa revanche, exhalait de vieilles petites rancunes d’homme faible. Sa blessure lui assurant l’impunité, il manifestait, malgré sa souffrance, une jubilation maligne,

— C’est ta faute, Hortense !… et tout le monde le sait bien !

Elle, plus blanche que de coutume, laissait voir son émotion. Sur l’oreiller, touchant la figure du blessé, elle posa sa main qui tremblait un peu ; et elle dit, d’une voix sourde :

— J’ai du chagrin, Claude ! Je voudrais souffrir nuit et jour à ta place… Mais j’ai cru agir selon la plus grande justice.

Le père Claude ne consentit point à demeurer au Paridier. La Misangère, en vain lui représenta combien cela faciliterait les choses. À la ferme, il aurait toujours quelqu’un auprès de lui et le va-et-vient des gens lui serait distraction. À Château-Gallé, au contraire, il faudrait, ou bien qu’il restât seul aux heures du travail, ou bien qu’elle-même passât tout son temps en inaction au chevet de son lit, ce qui était inadmissible.

Elle eut beau dire, il ne voulut rien entendre, entêté comme un enfant déraisonnable, criant qu’il avait bien mérité d’obtenir la tranquillité chez lui, qu’il voulait être soigné chez lui, mourir chez lui.