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LES GARDIENNES

temps abominables, il ne fallait pas songer au repos. Depuis de longs mois les deux anciens n’avaient jamais cessé de travailler aux champs, tantôt chez leur fille au Paridier, tantôt chez leur bru.

Si Hortense se trouvait chez elle par ce beau soir de mai favorable à la besogne, c’était à cause d’une blessure à la cheville qu’elle s’était faite, la veille, en descendant d’une charrette.

Elle se morfondait à l’idée que, là-bas, à la ferme, son aide faisait défaut. Elle absente, tout marchait cahin-caha. Sa fille, en effet, bien que jeune et forte, manquait de vaillance et d’autorité ; chaque semaine, chaque jour, chaque fois qu’une difficulté nouvelle se présentait, elle parlait de tout lâcher, de tout vendre ; et le père Claude n’était pas loin de lui donner raison. De là venaient, pour la Misangère, de graves tourments.

Elle songeait aux jeunes hommes partis en guerre. Après la victoire, quand ils rentreraient au pays, ils ne manqueraient point de demander : Qu’avez-vous fait de tout ce que nous avions laissé ? Femmes ! êtes-vous restées bonnes gardiennes chez nous ? Avez-vous entretenu le feu de nos maisons aimées ?

Quand reviendrait le gendre, le grand Clovis, avec qui il était si difficile de s’entendre, il dirait de sa rude voix orgueilleuse :

— Montrez-moi ma ferme !… Où sont mes bêtes ? A-t-on garni leur râtelier ?… Où sont mes outils ? J’en veux essayer le manche ! Femmes ! servez-