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croûte, toujours la même, qu’il tortillait entre ses doigts maigres et dont il grignotait le bout, très souvent pour faire illusion ; pas beaucoup de sauce non plus, mais de la viande, de la bonne viande bien grasse, d’épais morceaux qu’il happait vivement sans mâcher. La distraction des autres lui était propice, et il aimait la fin bruyante des repas ; il gardait pour ce moment-là de belles tranches qui touchaient partout dans sa bouche ; il s’en mettait jusqu’à la gorge ; ses yeux lestes viraient d’inquiétude et de contentement.

Quand vinrent les saladiers de caillebotes recouverts d’épaisses crèmes jaunes, les chansons étaient commencées. Calloux, le beau-frère, poussait la sienne, une chanson patriotique, avec des accents terribles et des gestes qui expliquaient. Puis ce fut le tour de Gustinet. Gustinet avait une belle voix de « raudeur » ; il tenait longtemps la dernière note et la faisait trembler.

Un soir, pendant son service, il était allé au café-chantant ; il aimait à parler de cet événement qui l’avait jeté en un grand émoi ; quand il allait aux foires, il achetait des feuilles pleines de chansons. Il savait toutes sortes de rigourdaines.

Il chanta d’abord une complainte, puis une chanson à reprendre qu’il avait justement apprise à la foire de mai ; le refrain enthousiasma :

T’as le fricot, Jeannot !
T’as le fricot, ho ! ho !

Vingt fois ce ho ! fit trembler les murailles ; ç’allait être évidemment le refrain de la noce.