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Trop lasses pour regimber sous la piqûre des bestioles, trop affamées pour se coucher et dormir, râpant de leurs dents jaunes l’écorce des marronniers, les pauvres bêtes attendaient là.

— Comme c’est laid, ce côté ! dit Delphine.

Cependant des couples passaient lentement avec des rires sourds, enlacés presque, sans gêne, les filles un peu rouges seulement. Beaucoup marchaient à la file et se dirigeaient ensemble vers les auberges.

Soudain, Delphine crut reconnaître Séverin sous un parapluie qui cachait deux têtes. Si c’était lui, pourtant, ce gars dont on ne voyait que le dos et qui lutinait une fille à long corsage ! Non ! cela ne se pouvait pas !…

Un frisson lui courut sur la nuque, comme si elle eût senti l’étreinte d’une main glacée. Ayant ralenti un peu sa marche, elle se trouva en arrière des autres ; déjà elle se hâtait pour les rejoindre, quand une voix perça le tumulte :

— Séverin ! avance ! avance donc !

Là, sur la droite, une vingtaine de jeunes hommes très gais entouraient l’entrée d’une roulotte. Par la porte entr’ouverte, on apercevait une femme assise, les yeux bandés ; une autre faisait le boniment, une ménagère noire et sale, toute en mâchoires. Dans ce recoin de la place, loin du soleil et des cuivres, cela vous avait un air louche et pas tranquille.

— Vas-y, Séverin ! cria une seconde fois la voix.

Mais des gens pressés poussèrent Delphine, et elle se trouva en face de ses amies, qui revenaient la chercher.