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des sacs, les épaules mornes et la tête basse. Elle s’efforçait en vain de le consoler.

— Voyons, Bernou, disait-elle, pourquoi te donner tant de tourments ? Tu verras que tu tomberas malade.

Il tomba malade, en effet. Il prit l’habitude de s’acagnarder devant l’écluse entre deux vergnes haut ébranchés qu’il avait vus tout petits ; silencieusement, il regardait l’eau moirée, l’eau toujours jeune dont le soleil faisait scintiller les rides.

Quand les beaux jours furent passés, il garda le lit et ses forces déclinèrent très vite. Un matin, il dit à Auguste :

— Arrête le moulin, mon gars ; il ne virera plus pour moi, et pour toi il ne virera guère ; arrête le moulin, mon bon gars.

Le moulin se tut et seule l’eau chanteuse, l’eau toujours jeune, accompagna les prières des morts ; accompagna les prières des morts d’une rumeur en sourdine, aussitôt qu’elle eut cessé de travailler.

« Il ne virera plus pour moi et pour toi il ne virera guère. »

Bernou était mort pour avoir trop pensé à cet abandon qu’il jugeait inévitable. Après lui, ses enfants essayèrent bien de lutter, mais les dettes étaient trop grosses ; le loyer des deux dernières années n’avait pas été payé ; le régisseur fit vendre. Les créanciers furent remboursés, mais il ne resta rien. Auguste et Delphine durent se gager ; quant à la Bernoude et à la grand’mère, elles allèrent s’installer dans une petite maison, meublée sommairement à crédit ; elles y furent