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économisés liard par liard, on ne sait comment, grâce à d’incroyables et presque honteuses privations.

Bernou reçut le coup en homme fier qui ne laisse rien voir ; sa femme aussi tint bon ; s’ils pleurèrent personne n’en sut rien. Simplement, ils continuèrent à travailler. Entre eux, par une entente tacite, ils ne parlaient jamais de cette perte : les enfants ne l’apprirent que plus tard par des voisins.

Mais, à dater de ce jour, les Bernou eurent toutes les malchances possibles. Dès l’année suivante, une épidémie vida l’étable, et il fallut emprunter ; puis des chevaux se blessèrent sur la carriole, les poulinières avortèrent ; des vétérinaires vinrent, et des empiriques, et des sorciers de village : il fallut emprunter encore.

Enfin le moulin et la terre qui en dépendaient furent vendus, et le nouveau propriétaire éleva tout de suite le prix de ferme : ce fut le coup de grâce. Bernou arriva à ne plus pouvoir payer le maître. Dès lors, il se découragea. Toujours jovial avec les pratiques, il avait, à la maison de muettes tristesses. Il s’enfermait en son moulin et il y remâchait sa détresse, son chagrin immense d’abandonner cette maison où ses anciens avaient travaillé, où il avait espéré voir travailler son gars. Car il faudrait s’en aller, il faudrait vendre ; il n’y avait plus moyen d’éviter cette honte. Il faudrait avouer les dettes si soigneusement cachées à tous, même aux enfants ; et ces enfants n’allaient point faire des reproches pour n’avoir pus été avertis plus tôt ?

La Bernoude trouvait souvent son homme assis sur