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dans leur jeunesse, avaient pêché ensemble, vers la in de l’été, quand l’étudiant était revenu des écoles. Une fois mariés, ils continuèrent à se fréquenter. Le mois de juin ne passait pas sans qu’on vît arriver au moulin une belle voiture d’où descendaient, après le notaire, une jolie dame qui sentait bon et deux fillettes ouvertes de dentelles.

Les Bernou étaient flattés. On pêchait ; les enfants se roulaient dans le foin. La dame, une Parisienne, n’était point rogue et dédaigneuse comme les autres bourgeoises du pays. Bien qu’elle habitât la campagne depuis plusieurs années, elle s’amusait de toutes petites choses, ce qui faisait dire à Auguste qu’elle était sotte. Elle courait avec les enfants ou bien elle embrassait Delphine et s’extasiait sur ses yeux.

— Charles ! Charles ! disait-elle, viens donc voir les yeux de cette petite ; quels beaux yeux ! quels beaux yeux d’eau !

Le notaire, pendant tout ce temps, causait avec Bernou. Affable, lui aussi, il ne dédaignait pas le patois pour bien marquer qu’il ne reniait point son origine paysanne. Son air tranquille, la simple clarté de ses yeux honnêtes, disaient d’ailleurs cette origine. Il était le scrupuleuse lignée ; il avait derrière lui des siècles le droiture. Bernou lui confia son argent, sept mille francs. Six mois après, plantant là femme et enfants, le notaire filait avec une drôlesse.

Ce fut un gros scandale dans le pays ; ce fut la ruine pour une cinquantaine de familles. Le notaire emportait deux cent mille francs raflés dans des tiroirs de pieds-terreux et de pile-mojettes, deux cent mille francs